lundi 30 juillet 2012

Les acquis des révolutions arabes

Malgré les déceptions des jeunes des révolutions dues à la lenteur des changements, les craintes que suscite chez beaucoup de citoyens et citoyennes la montée des forces de l’islam politique à travers les premières élections libres depuis plus d’un demi-siècle, et les difficultés économiques qui ne sont pas prêtes de disparaître, les révolutions arabes ont généré d’importants changements irréversibles. Nadia Aissaoui et Ziad Majed pour Mediapart.fr

Plus de 19 mois déjà se sont écoulés depuis le début de ce que l’on a appelé « le printemps arabe ». Deux présidents sont tombés sous la pression de millions de manifestants pacifiques en Tunisie et en Égypte. Un tyran sanguinaire est renversé après une résistance d’une grande partie de son peuple et une intervention onusienne (dirigée par l’OTAN) en Libye. Un autre régime s’est ouvert à l’opposition et a tourné la page de son président au Yémen, et un régime affaibli se maintient toujours à Bahreïn (soutenu par son voisin saoudien) après avoir étouffé les manifestations et profité des divisions communautaires dans le pays.

À cela s’ajoute des mobilisations populaires au Maroc et des actions sectorielles qui continuent à avoir lieu en Jordanie, en Algérie et plus récemment au Soudan (sans grands changements dans la donne politique pour l’instant). Les revendications se ressemblent : réformes politiques, lutte contre la corruption, respect des libertés publiques, et mesures socio-économiques pour confronter la pauvreté et surtout le chômage.
De plus, des élections libres ont eu lieu pour la première fois dans plusieurs de ces pays, et de nouvelles élites politiques ont émergé et commencé à partager le pouvoir avec une partie des anciennes élites qui ont survécu aux révolutions. Des islamistes, surtout des courants des « frères musulmans », sont arrivés en tête en Tunisie et en Égypte (comme au Maroc). Ils ont par contre été dépassés en Libye par les libéraux, les indépendants et les candidats tribaux, et ils ont fait un mauvais score (même s’ils l’attribuent à la fraude électorale) en Algérie.

Reste la Syrie : une exception dans ce « printemps arabe ». À trois niveaux : sa révolution s'affronte toujours au régime le plus despotique et violent de la région ; son évolution, qui a connu plusieurs phases : le pacifisme, la militarisation défensive et, depuis quelques semaines, la militarisation offensive. Dans les trois phases, l’ampleur de la mobilisation et l’étendue territoriale de la révolution et des confrontations, de même que la durée et le coût humain et économique, sont les plus importants, et les plus élevés comparés aux autres cas. Finalement, c’est la révolution qui suscite le plus de réactions, et montre à quel point, pendant 42 ans, la propagande du régime a affecté la mentalité de certains groupes, amateurs des théories de complots « impérialistes » et peu concernés par les causes de liberté et de justice pour les « citoyens » arabes sous les dictatures.

Sarmada, Syrie et "la liberté guidant le peuple"

Qu’est ce qui est irréversible ?

Par ailleurs, ce que beaucoup d’observateurs et de journalistes oublient en évaluant aujourd’hui les conséquences des révolutions est parfois plus important que le renversement d’un président ou les résultats des élections. Car il y a suite à ce printemps des phénomènes irréversibles, des acquis que nul ne peut ignorer et qui pourraient poser des jalons de démocraties en devenir.

La fin du pouvoir « éternel »
Les révolutions arabes ont de façon définitive mis fin aux présidences aux mandats éternels. Qadhafi au pouvoir depuis 1969, Assad père et fils depuis 1970, Ali Abdallah Saleh depuis 1978, Moubarak depuis 1981, et Ben Ali depuis 1987, sont les derniers présidents de république à confisquer le pouvoir et à le désinscrire de la dimension « Temps ». À présent, les élections détermineront tous les 4 ou 5 ans le président et puis son gouvernement. C’est un retour à une temporalité qui a perpétuellement été exclue de la conception du pouvoir politique, devenu absolu et à vie.

La libération de l’expression
Les révolutions arabes ont libéré l’expression, la parole et mis fin à l’auto-censure quasi généralisée. Même avec la montée des forces islamistes, peu de tabous sont aujourd’hui restés intouchables. Il s’est formé une certaine puissance dans la manière d’exprimer la résistance à toute hégémonie. De l’art à la presse, des réseaux sociaux aux manifestations, la parole trouve par tous les moyens des possibilités et des canaux divers d’expression. C’est un fait nouveau dans des sociétés longtemps bâillonnées par les dictatures. D’ailleurs on constate la variété et la richesse des débats en cours, y compris ceux que les rapports de force actuels semblent vouloir éluder : les femmes, l’islam, et le rôle politique des militaires…
La mentalité de la nouvelle génération « semble y être pour quelque chose », puisqu’aucun sujet ne paraît interdit. En ce qui concerne les femmes, on constate que plus leur sort devient un enjeu de société, plus elles se mobilisent et trouvent des formes d’expression et d’affirmation de soi nouvelles et radicales.

Caire: manifestante défiant les militaires

La libération de l’espace public
L’espace public a retrouvé sa place et sa mission dans la cité. Il se vit aujourd’hui comme lieu de rassemblement citoyen et comme espace de manifestations et d’échanges sans peur et craintes. Ce qui autrefois constituait une tribune d’exhibition militaire du pouvoir et de promotion du culte de la personnalité des despotes, est devenu la propriété légitime des citoyens afin qu’ils s’y rencontrent et expriment leurs opinions.

La fin des tabous « communautaires »
Le slogan de « L’union nationale sacrée », imposé pour masquer toute différence et étouffer toute diversité, a volé en éclats. Les séquelles et les non-dits reprennent aujourd’hui leur place dans les débats. Il reste à entreprendre la lourde tache de déconstruire les représentations tronquées et mettre en place de véritables «accords nationaux » basées sur les libertés et la reconnaissance des différences culturelles, politiques ou religieuses.

Graffiti au Bahrain

La liberté comme nouveau lien panarabe
Une solidarité pour la dignité et pour la lutte pour la liberté réunit aujourd’hui de larges secteurs des populations arabes. Une nouvelle culture de la solidarité a émergé. Elle dépasse à présent le seul cadre idéologique et politique et englobe une dimension plus humaniste, plus proche de l’individu-citoyen. Ainsi, beaucoup d’arabes se reconnaissent aujourd’hui mutuellement dans leur droit d’exister en tant qu’être libres, bien au-delà des causes territoriales et de la conception dépassée des « masses » monolithiques.

Élections et accumulations d’expériences électorales.
La région est entrée de plein pied depuis plus d’un an maintenant dans un processus politique qui considère les urnes comme source de légitimité. Avec de l’expérience, de la mobilisation, des réformes et des accumulations de moments électoraux, les citoyens imposeront aux forces politiques le respect de leurs aspirations et priorités.

7 juillet 2012: premières élections en Libye depuis 1965
Temps et défis

Il importe de rappeler à toutes fins utiles que nulle révolution dans l’Histoire de l’Humanité n’a produit en l’espace de quelques années seulement un modèle de réussite politique et institutionnelle. Si impatients et sceptiques s’interrogent sur le bien fondé des soulèvements populaires, ils doivent garder à l’esprit que les difficultés qui émergent et la complexité des situations sont le produit de décennies de mort politique et de dictature liberticide et d’enjeux régionaux.

Il est donc normal que moins de deux années après le début des révolutions arabes que des zones de turbulences apparaissent dans les expériences politiques naissantes. Elles constituent des défis et des enjeux mobilisateurs pour des citoyens qui ont décidé enfin de maîtriser leur présent et leurs destins…

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