samedi 3 décembre 2016

Pas en notre nom et pas avec nos salaires !

Madame la ministre de la solidarité nationale, de la famille et de la condition des femmes,  

Même pas une semaine après la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, votre déclaration publique engage «les femmes cadres qui ont des maris qui subviennent à leurs besoins à aider l’Algérie en cédant la totalité deleurs salaires au trésor public». Votre argument ? Pour ce pays «qui a assuré notre éducation et nous a donné la chance de faire carrière, ce serait la moindre des choses». 

Passons sur le fait qu’honorer ce pays aurait été, avant tout, de lui éviter qu’une telle ineptie soit désormais associée à son image. 
Notre consternation est immense, notre tristesse aussi et bien sûr, notre colère. 

Nous, femmes libres, féministes ou non, toutes héritières de l’indépendance, nous ne vous permettons pas de vous exprimer en notre nom. 
Nos mères et nos grands-mères ont sacrifié leurs vies et leurs biens pour l’indépendance et la construction de l’Algérie moderne. Et pour que nous aussi, leurs descendantes, ayons notre indépendance.  Elles nous ont voulu libres et les égales des hommes de ce pays.

Madame la ministre, par votre propos, vous méprisez les femmes qui ont arraché de haute lutte le droit de travailler et de s’affranchir du foyer patriarcal.
En fait, Madame, vous méprisez toutes les femmes, celles qui travaillent déjà et celles qui souhaiteraient tant pouvoir le faire.
Celles par centaines, répudiées et jetées à la rue parce que – justement – sans moyens pour un toit et une protection à leurs enfants. 
Celles qui meurent chaque année sous les coups de leur conjoint violent avec leurs enfants parce que – justement – dépendant du salaire marital.
Enfin, prétendre que ces salaires de femmes sont, de toute façon, mineurs dans un foyer, c’est ignorer leur apport capital dans une famille, surtout quand elle peine à manger avant même les fins de mois. 
Ignorance (confortée peut-être par votre salaire de ministre)? Amnésie? La réalité des femmes en Algérie, Madame, la connaissez-vous seulement?


Le pire, dans cette amnésie, est sans aucun doute le manque de considération pour toutes celles, femmes, qui ont perdu leur vie durant la décennie noire pour – justement – avoir voulu étudier, travailler, continuer de gagner leur vie. Celles décapitées, égorgées pour – justement – avoir refusé d’abdiquer à l’injonction de l’enfermement et du repli.

Ces femmes, ces Algériennes courageuses avant l’heure face à la terreur, ont bravé les menaces et la mort pour continuer à se rendre sur leur lieu de travail, continuer de servir le pays et surtout la liberté. Premières à se mobiliser contre la montée intégriste dont le programme politique – on en rirait si ce n’était si tragique – était de… «renvoyer les femmes au foyer pour remédier à la crise économique». On a les références qu’on peut. 

Nous, nous savons qu’en ces années, le salaire de ces femmes qui ont tenu à continuer de travailler, était alors l’honneur de l’Algérie.  
Nous savons, nous, que c ‘est grâce à elles que ce pays est resté debout, tant il leur était crucial de ne pas le voir sombrer dans l’intégrisme.  Votre proposition est une grande offense à leur mémoire. 

Madame la ministre, alors que l’augmentation des violences faites aux femmes est criante et appelle urgemment à leur autonomie financière, une question s’impose:  dans quelle Algérie vivez-vous ? A quelle époque ? 
Mais surtout : d’où vous vient cette volonté de nous livrer en pâture, rivalisant avec les propos des pires conservateurs et intégristes algériens ? 

Une seule femme pourrait retenir votre proposition: vous, avec votre salaire et vos privilèges, 
Et surtout, cet argent qui manque tant à notre pays, qu’il soit rapatrié de l’étranger ou repris aux nantis qui considèrent les richesses de ce pays comme leur bien personnel. 
Madame, faites ce que vous voulez avec votre salaire. Ne touchez pas au nôtre ! 

Et de grâce n’évoquez plus jamais le bien du pays au nom de nos mères, nos grand-mères, nos filles, nos nièces, nos voisines, nos collègues… de travail. 

Pas en notre nom et pas avec nos salaires !

N.L. Aissaoui